Les « killer apps » de la réalité augmentée existent-elles vraiment ?

C’est un sujet qui revient souvent dans les discussions avec des professionnels des technologies immersives : Quelles sont les « killer apps » de la réalité augmentée ? Vous savez, ces fonctionnalités tellement intéressantes et utiles qu’elles suffisent à justifier l’investissement initial dans le matériel et le logiciel. J’ai voulu ici faire un point sur ce sujet et poser la question de leur utilité / nécessité dans le développement du marché.

Le tableur, la killer app de la micro-informatique (VisiCalc)

Petite précision tout d’abords, même si nous parlons usuellement de « killer app », nous nous intéressons plutôt à une fonctionnalité. Qu’elle soit utilisable par une ou plusieurs applications importe peu.  On peut mettre dans cette catégorie les outils bureautiques pour la micro-informatique, l’email et l’e-commerce pour Internet, le SMS pour la téléphonie mobile, etc. Elles ont la caractéristique commune d’être assez facilement reconnaissable, en particulier au moment où elles deviennent des « killer apps » !

Dans le domaine de la réalité augmentée, si on se pose la question de l’existence de ces « killer apps » c’est peut-être un bon indicateur qu’elles n’existent pas… C’est un peu brutal et il convient de la nuancer, en séparant (encore une fois) le domaine professionnel et celui du grand public.

Coté professionnel, je pense aujourd’hui que l’expertise à distance est la vraie « killer app » de la réalité augmentée. Ce n’est pas nouveau, en 2015 pour RA’pro, j’interviewais Polm Studio au sujet de sa solution packagée. Mais depuis 2 ou 3 ans, les solutions sont multiples, stables et accessibles (par exemple la solution Pilot de Teamviewer est à moins de 300€/an). La valeur ajoutée est immédiatement visible : il s’agit de faire intervenir une compétence spécifique et rare, le plus rapidement possible pour répondre au besoin d’un client. Le contexte de pandémie n’a fait qu’accentuer ce besoin. Plus important, je vois dans mon activité des PME/PME investir dans cette fonctionnalité et la mettre en place la plus naturellement possible.

Présentation de « Microsoft Remote Assist », solution pour mettre en place de l’expertise à distance.

Il y a de nombreuses autres applications comme le contrôle qualité ou la formation qui ont prouvé leur efficacité et leur rentabilité. Cependant, leur mise en production reste compliquée. Il faut trouver les bonnes combinaisons matériel+logiciel, faire des adaptations assez fortes à la réalité de l’entreprise utilisatrice et entamer une démarche de changement de méthode de travail qui n’est pas si anodine.  Peut-être que la construction de catalogues standardisés de formation va modifier la donne dans les années à venir, nous verrons.

Pour le grand public, je ne vois pas de « killer app » aujourd’hui même si j’ai fébrilement suivi les progrès de l’essayage (de lunettes, de bijou, de maquillage, de chaussures) depuis des années… C’est probablement le secteur le plus en avance avec des solutions comme la suite YouCam (et son milliard d’utilisateurs), les applications d’Atol (entre autres) qui datent de plus de 10 ans, de L’Oréal et de la plupart des marques du luxe.

L’évolution de Youcam en outil d’assistance 1to1

Il faut cependant noter depuis 2 ans environ la croissance de marché des filtres de réalité augmentée sur les différents réseaux sociaux. Cette croissance a d’ailleurs convergé avec le secteur de la beauté que je viens de mentionner. Est-ce que cela en fait une killer app ? Je n’en suis pas convaincu. Qui va acheter un smartphone pour utiliser un filtre ? C’est plutôt une commodité qui retient les utilisateurs sur le réseau qui la propose.

Comme dans le milieu professionnel, de nombreux autres usages ont montré une vraie rentabilité comme la maison (je place dans mon environnement mon meuble / sol / plafond / tableau / etc.) ou le jeu avec Pokemon Go (un peu seul il est vrai). De nombreuses campagnes de communication ont été produites, des livres ont été augmentés, les commerciaux de l’automobile savent vous montrer votre future voiture, etc. Malheureusement, ces expériences restent dispersées, ce qui peut nous étonner (je vous invite à lire cet article qui revient sur ce point).

L’écosystème de la réalité augmentée est-il favorable à la naissance d’une killer app ? Je n’en suis pas certain. En effet, aujourd’hui vivre une expérience de réalité augmentée rime souvent avec charger une application spécifique… Pour convaincre, la promesse doit être forte ! Et même dans ce cas, l’expérience reste enfermée sur un matériel ou un système exploitation. On peut imaginer que le développement du WebXR (en gros la réalité augmentée à travers votre navigateur Internet) va faire évoluer les choses.

Les lunettes de réalité augmentée restent éloignées du grand public (ici des Hololens 2 de Microsoft)

Il n’est pas impossible également que l’arrivée sur le marché de lunettes de réalité augmentée réellement grand public puissent faire apparaître des usages « indispensables ». Aujourd’hui, les modèles disponibles restent dédiées à une certaine catégorie de population, capable de mettre quelques centaines de dollars dans des accessoires assez creux… Apple cristallise beaucoup d’attente dans ce secteur, mais risque de décevoir également. Bref, nous aurons peut-être des lunettes vraiment utilisables en 2028 ou 2030 …

The biggest impact of AR, then, will not be that it gives you superhuman vision (though it may also do that) but rather that it can meaningfully change how we relate to physical places.

Aaron Frank (Augmented Reality’s ‘Killer App’: Transforming How We Relate to Physical Places)

Plusieurs professionnels du domaine pensent que la killer app de la réalité augmentée sera la redéfinition même du rapport au lieu physique. Nous avons déjà parlé de Pokémon Go, qui au-delà de l’aspect ludique, produit un véritable impact sur l’espace physique. Il est vrai qu’aujourd’hui, les produits disponibles sur le marché sont plus près de la géolocalisation que de la réalité augmentée, pour des raisons techniques déjà évoquées. Les choses n’en resteront pas là bien longtemps et les « strates » de réalité apparaîtront bientôt, disponibles pour les utilisateurs. Le positionnement des professionnels dans ces strates sera l’enjeu des années à venir avec les mêmes questions que celles liées aux Marketplaces (être dedans ou dehors) et aux applications mobiles (choisir ou non un écosystème).

S’il n’y a pas de killer app aujourd’hui, en faut-il absolument pour faire décoller véritablement le secteur. Peut-être que non. Le développement des plateformes de création de réalité augmentée (comme Kaviar, Realillusions, Zapworks, ImagineAR, Artivive, etc.) simplifient le travail des créatifs et rendent accessible à tous et à toutes la mise en place d’une expérience. Comme WordPress a démocratisé le Web en son temps, ces outils devraient profiter au développement des usages et, qui sait, faciliter l’apparition des killer apps 🙂

Augmented Reality (AR) doesn’t have a killer app. But it doesn’t need one. And the lessons from virtual reality (VR) need not apply.

Doug Thompson (Augmented Reality and the Killer App: ‘Replayability’ and Platforms)
Alternative proteins explorer | AR true beliver (with facts) | Part-time Chief Metaverse Officer (#ItsAJoke)
Posts created 344

3 commentaires pour “Les « killer apps » de la réalité augmentée existent-elles vraiment ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Articles similaires

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut